Toute la biologie de l’abeille mellifère vise à puiser dans l’environnement de la matière et de l’énergie, et à les structurer pour produire de nouvelles colonies de la meilleure qualité possible.
Cette perspective fondamentale est la clé qui permet de comprendre les conquêtes étonnantes de l’abeille et ses performances.
La reproduction est la multiplication. La manière la plus simple de réaliser la multiplication est la division ou le bouturage. Les processus sexuels se basent sur la réunion de deux gamètes des deux sexes et apportent par cette nouvelle combinaison une augmentation de la diversité des types à l’intérieur d’une population.
Les mâles sont la source de spermatozoïdes sans grande valeur car produits en très grand nombre. Les femelles, elles, produisent des ovocytes, relativement rares et précieux. Du pur point de vue d’une technologie des gamètes, il suffit de peu de mâles dans une population pour féconder un grand nombre de femelles.
D’autant plus étonnante est cette configuration des abeilles mellifères, caractérisées par un très grand nombre de mâles pour un nombre extrêmement réduit de femelles. La situation inverse serait beaucoup plus facile à comprendre, puisque très peu de mâles donnent assez de spermatozoïdes pour féconder beaucoup d’oeufs. Et ce qui nous stupéfie est aussi le rythme temporel de succession très régulier, typique chez les abeilles, qui sépare par une longue période deux générations de reines et seulement de quelques heures la naissance des reines de la même génération.
L'immortalité démultipliée en coopération avec les plantes
Cette masse d’abeilles offre à la reine un environnement sûr et permet de doter chaque nouvelle reine d’une colonie complète. En règle générale, la vieille reine quittera la ruche, avec environ 70% des ouvrières, avec lesquelles elle formera « l’essaim primaire ». La jeune reine restante, une fille fécondable de la vieille reine sortante, récupère alors en cadeau un tiers des ouvrières et surtout toutes les alvéoles gorgées de miel, de pollen, et d’une multitude de larves ouvrières en cours de développement. On peut difficilement imaginer un meilleur départ dans une vie d’abeille.
Mais une colonie peut produire plus d’un essaim. C’est ainsi que la masse d’abeilles restée dans la ruche pourra à nouveau se répartir dans ce cas-là entre deux nouvelles reines.
Sous les latitudes tempérées, les essaims se constituent dans la période d’avril à septembre. Les nouvelles reines voient le jour à un moment où la croissance du nombre d’abeilles dans la colonie atteint son maximum et où il restera également assez de couvain dans la colonie de départ pour compenser la perte d’abeilles après l’essaimage.
Dans une colonie, les amorces de cellules royales peuvent mener, au maximum, à l’élevage de 25 futures reines mais dont la plupart n’auront pas voix aux chapitre. Dès que la première de ces larves est assez grande pour être enfermée dans sa cellule et pour s’y développer sous la forme de nymphe, commence alors la fièvre de l’essaimage. La vieille reine quitte la colonie une paire de jour avant que la jeune reine ne voie « l’obscurité de la ruche.
Si le départ est tout proche, les ouvrières qui vont accompagner la reine sortante se gorgent de miel stocké dans les alvéoles. Elles remplissent leurs jabots, ces provisions suffiront, au plus, pour une dizaine de jours, c’est le délai dont elles disposent pour trouver un nouveau domicile et reprendre une vie normale de colonie.
Juste avant le départ, les abeilles décidées à participer à cette aventure commencent à courir en tout sens, à faire entendre des vibrations aiguës, et à pousser hors de la ruche la reine décidée elle aussi à partir, en la mordant, en la tirant aux ailes et aux pattes. Ensuite, un flot d’abeilles commence à jaillir de la ruche, à remplir l’air à l’entour de la vieille reine, près de l’ancien domicile, une grappe d’abeilles, à partir de laquelle va être prospecté un nouveau domicile. Dans cet essaim en grappe se retrouve un bon échantillonnage de toutes les abeilles de la colonie d’origine, bien que les abeilles récemment émergées de leurs alvéoles, tout comme les vieilles butineuses, soient restées dans la ruche d’origine.
Si d’autres jeunes reines sont élevées, mais que la puissance de la colonie ne soit pas suffisante pour supporter une nouvelle division, les travailleuses détruisent les autres cellules royales et exterminent les larves qu’elles contiennent, quitte à tout reprendre une autre fois à partir de zéro.
Cette reproduction par création de quelques colonies, peu nombreuses mais complètes et parfaitement aptes à démarrer, a des conséquences dramatiques pour l’espèce « abeille » dans son ensemble : elle attribue à une colonie une immortalité potentielle et permet de diffuser des colonies complètes qui sont des « copies de cette immortalité.
Mais ces colonies issues d’une colonie ne sont pas des copies de sa substance génétique. Chaque nouveau super organisme possède sa propre combinaison de gènes.
Avec leurs oeufs, fécondés par la semence des mâles avec lesquels elles se sont accouplés, les nouvelles reines sont équipées d’un patrimoine génétique différent. Et cela vaudra pour leurs descendants, qui vont peupler la colonie au fil du temps et remplacer toutes les vieilles abeilles. Cette restructuration a lieu régulièrement, lorsque de nouvelles reines sont élevées pour la multiplication de la colonie par essayage. Mais ce remodelage des bases génétiques et cette recomposition de la colonie interviennent seulement dans la situation d’urgence où le super organisme doit élever une nouvelle reine à partir d’une larve parmi d’autres. C’est par ce type de renouvellement qu’une colonie remplace une reine en perte de puissance par une jeune reine qui, lors de son vol nuptial, recevra au passage un nouveau cocktail de semences pour la reproduction des ouvrières. Une colonie sédentaire, renouvelant sa reine chaque année par la pratique naturelle de l’essaimage, renouvelle son profil génétique au fil des ans.
Les plantes à fleurs et les abeilles se soutiennent réciproquement dans la plus importante mission de tout être vivant qu’est la reproduction.
Inspiré du livre « L'étonnante abeille »
de Jürgen Tautz, éditions de boeck
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