Henri Giorgi est un apiculteur conventionnel à la retraite, qui dédicace ses journées à la préservation de l’abeille sauvage, des ruchers troncs cévenols et à la transmission de savoirs traditionnels à savoir la conduite de ruche tronc.
Il décrit cette conduite apicole comme un accompagnement des colonies car il s’agit « simplement » d’offrir un carde de vie exempt de pollution de tout ordre et préserver les abeilles de toute visite intempestive.
Son ouvrage, parut aux éditions de Terran, propose à tous les amoureux de ces insectes un autre monde, une autre pratique dont l’unique intention est de préserver l’abeille en favorisant l’essaimage naturel de colonies rustiques et résiliente.
La ruche tronc
" Avant de transmettre ici quelques synthèses pratiques, voici une liste d’écrivains à ne pas louper pour comprendre les besoins et le fonctionnement des colonies, découvrir l’histoire de l’apiculture et de nombreuses sources d’inspirations : Alin Caillas, François Huber, Karl von Frisch, le père Adam, Maeterlinck, etc…
Les ruches troncs sont des bûches de châtaigniers (imputrescibles et largement répartis dans le Massif Central) creusées et coiffées d’une dalle de lauze taillée. Des croisillons et des clés viennent aider les constructions en cire des ouvrières et l’éventuelle récolte de surplus pour les humains. Un trou de vol est aménagé, même si les abeilles ne se gênent pas pour emprunter d’autres interstices pour se faufiler de l’extérieur vers l’intérieur de la ruche et vice-versa.
Il y a 150 millions d’années, sur la planète Terre, les continents morcelés et grands voyageurs, recouverts d’une végétation gymnosperme, se cherchent une place de choix sur le globe.
Peu à peu, une végétation angiosperme prend le pas sur la précédente.
Il y a 100 millions d’années, un contrat d’échange de services (pollinisation) est signé entre la végétation florale (angiosperme) et les insectes pollinisateurs (apoïdes solitaires).
Quelques millions d’années plus tard, et après quelques stations bien spécifiques, apparaissent nos abeilles sociales.
Les ruches troncs semblent être la première forme d’apiculture. A cette époque, les humains, habitant les grottes et se déplaçant au fil des saisons, ont dû rapidement remarquer des trous, dans des troncs d’arbres encore sur pied, gorgés d’ouvrières et de miel.
Les récoltes prennent alors forme de cueillettes, se faisant aux rythmes des aller-retours depuis ces arbres habités aux abris précaires des tribus.
Puis, certainement lasses de ces aller-retours et aux suites des évolutions d’outillage dont l’espèce homo sapiens fait intellectuellement preuve, les cavités se retrouvent alors séparées de leur arbre pour être rapprochées des abris. Ainsi, les abeilles et les humains commencent à co-habiter et à s’échanger quelques services : protection et accompagnement de la part des humains pour les abeilles, qui elles acceptent de donner une partie de l’excédent de production en retour.
Puis, les ruches ont commencé à prendre des formes de plus en plus ingénieuse, en fonction des ressources trouvées aux environs et en essayant de respecter au maximum les besoins écologiques des abeilles.
Henri Giorgi propose dans son ouvrage des explications précises sur les soins et interventions à apporter à une ruche tronc sur une année. Ce que je désire transmettre ici, sous la forme d’un condensé, est un résumé qui demande peut-être d’avoir acquis auparavant quelques notions ou expériences. Les repères calendaires qui sont donnés ici correspondent aux conditions climatiques et florales des Cévennes Lozérienne et doivent donc être adaptés à votre région et aux observations que vous avez relevées.
On ne sait pas quelles perceptions particulières peuvent avoir les abeilles de notre existence, de notre personnalité, des sentiments qui nous animent, de nos intentions du moment. Il est peu probable qu’elles en détectent la teneur. Mais rien n’empêche de les imaginer dotées d’une certaine perspicacité et, pourquoi pas, d’une certaine attention à notre présence. Certains apiculteurs leur parlent avec douceur, comme il le ferait à un animal de compagnie. Créer une relation affective envers un peuple aussi complexe et attachant que celui des abeilles pourrait être perçu après tout comme une belle preuve d’humanité. Et cela colle très bien avec la notion d’accompagnement qui nous occupe.
Voilà un premier point acquis. Ne vous privez pas de parler à vos abeilles et de tenter d’écouter ce qu’elles ont à vous dire.
Approchez votre oreille et écoutez ! Un bruissement vous répond… Vos abeilles réagissent. Une multitude d’abeilles se précipitent sur les réserves et se gorgent de miel, d’autres créent une chaîne de ventilation pour évacuer la fumée vers l’extérieur. Autant de préoccupations d’urgence qui laisseront le champ libre à vos investigations. Au début, votre abeille n’entendra qu’un vague bruissement, un peu lointain. Avec le temps, vous y accorderez davantage d’attention, car savoir décrypter cette réaction sonore est de la plus grande importance. L’écoute…
Cette première attention de votre part devra devenir un réflexe. Un bruissement vif, puissant et qui s’estompe rapidement signifiera que votre colonie est saine, équilibrée et surtout rassurée par la présence de sa reine. Un bruissement lent au démarrage, un peu mou et montant crescendo vous suggérera un malaise à définir. Peut-être cette colonie est-elle orpheline, affaiblie par une maladie ou une infestation de parasites. Avant même l’ouverture de la ruche, vous saurez l’attention qu’il vous faudra lui porter et ce que vous devrez y chercher, à savoir la cause du malaise.
Février – début Mars : Faire un contrôle varroa. Suivant le résultat : traitement (dans un décontaminateur*) au Varrox, ou pas.
» Profitez d’un beau début d’après-midi pour cette première visite. Le soleil est haut dans le ciel et la température agréable (à partir de 18°C).
Observations particulières : Les abeilles rentrent-elles du pollen ? – Quelle attitude ont-elles (gardiennes, butineuses, …) à l’extérieur ? – Sont-elles vives, inquiètes, agressives, lentes, ou semblent-elles perturbées anormalement ? – Détectez vous des traces particulières de déjections sur la paroi de la ruche ? – Des cadavres d’abeilles devant la ruche ? – Les nettoyeuses sortent-elles des particules grossières de la ruche ? Un petit coup frappé contre la ruche, l’oreille bien attentive à la réaction acoustique : entendez-vous un bruissement spontané, franc et massif ou une plainte allant en s’accroissant ?
Avril – début Mai : Visite de printemps.
» Votre aide retire la lauze sans-à-coup, puis saisit la ruche et la penche lentement en arrière, jusqu’à la poser à plat. L’apiculteur-trice enfume de nouveau entre les rayons qui apparaissent au bas de la ruche. La colonie bruisse régulièrement et les abeilles se précipitent vers l’intérieur de leur logis. A la place de la ruche, le sol est jonché de résidus de cire, de quelques cadavres d’abeilles, d’une multitude de débris plus ou moins ragoûtants. L’hiver est passé par là ! Les bâtisses inférieures vous apparaissent alors. Il est à espérer qu’elles étaient pleines de miel à l’automne. Les trouver vides au printemps est normal, les abeilles ayant consommé le miel dès l’arrivée des froids de fin d’automne et de début d’hiver, les réserves supérieures étant réservées aux grands froids hivernaux.
Vous allez pouvoir extraire de la ruche ces rayons vides. Ce sera pour vous une première récolte de cire, produit précieux. Pour découper ces rayons, vous devrez vous servir d’une petite palette ou du découpeur, ou encore du lève-cadre qui est très pratique ici. L’opération est délicate et demande une certaine attention. Quelques centimètres au dessus, se trouve la chambre à couvain (la reine a commencé sa ponte). «
Le retrait de ce volume de cire va faire appel à un instinct particulièrement développé chez les abeilles : celui de bâtir !
Juin – Mi-Juillet : Récolte, si sagement possible.
» La première période attendue tant par les abeilles que par l’apiculteur-trice est celle de la grande miellée. En général, elle se déroule du mois de mai au mois de juin, voire début juillet. Dans les ruches, depuis le mois de mars, on se prépare à cette période vitale. Les entrées devenant de plus en plus abondante, la ponte de la reine s’est accélérée jusqu’à atteindre un maximum vers le début du mois de mai. Juste à temps pour que le pic des naissances survienne au moment de cette grande miellée. La population est à son apogée. Votre ruche regorge d’abeilles, dont pas une ne manque à son occupation, à sa mission. » L’essaimage est proche !..
» La pourvoyeuse, quant à elle, sait exactement où aller stocker le précieux butin. Elle connaît aussi les secrets quoi transformeront ce nectar en miel. D’ailleurs, l’élaboration a déjà commencé durant le voyage de retour de la butineuse. Dans son jabot, une enzyme, l’invertase, s’est ajoutée au nectar et a commencé une hydrolyse du saccharose. Celui-ci, après une réaction chimique, se transforme peu à peu en glucose et en lévulose. Des sucres bien sympathiques et facilement assimilables par l’organisme. «
» Les abeilles ne stockent pas les nectars n’importent où. De plus, elles ne les mélangent pas. Tel endroit sera destiné au nectar de pissenlit, et tel autre à celui récolté sur les framboisiers. «
MÉTHODE :
L’idéal sera une fin de matinée bien chaude, à ce moment où des milliers d’abeilles volent en tout sens et ne se préoccupent pas de votre présence à proximité de la ruche. Avant de vous précipitez dans celle-ci, il va vous falloir contrôler que le miel est bien mûr. La méthode est simple : après un léger enfumage, vous soulevez la clé centrale de votre ruche et vous observez le dessus des bâtisses. Vous devez apercevoir les cellules pleines et operculées, preuve que les abeilles ont utilisé tout leur espace de stockage pour le miel, et, surtout, que le miel est mûr.
Plus des trois quarts des cellules doivent être operculées. Ceci est une règle absolue. Si seulement une moitié l’était, il vous faudrait attendre encore un peu avant de récolter, car il s’ensuivrait une mauvaise conservation et des risques de fermentation.
La récolte de miel dans les ruches troncs s’effectue directement dans la partie supérieure. L’apiculteur-trice découpe les rayons jusqu’au niveau des cellules de pollen qui se situent juste au-dessus du couvain. Le seul impératif est que les abeilles abordent l’hiver avec suffisamment de provisions.
Assurez vous que les cellules des portions que vous avez prélevés sont au moins à trois quarts operculées. Si quelques cellules sont de couleur plus foncées ou plus orangées, c’est que vous avez prélevez quelques cellules contenant du pollen. Vous avez atteint la limite de récolte. Refermez la ruche minutieusement et laissez opérer les ouvrières à leur précieuses tâches.
Le web recèle de milliers de vidéos et de retours d’expériences sur l’extraction du miel, à vous de faire votre choix, veillez tout de même à oxyder le moins possible le précieux liquide pour en garder toutes ses valeurs médicinales et nutritives.
Octobre – Mi-Novembre : Contrôle varroa . Suivant le résultat : traitement (dans un décontaminateur*) au Varrox, ou pas. Mise en condition d’hivernage.
Or, si en hiver les abeilles semblent endormies, la réalité est tout autre ! La masse s’est resserrée en suivant la baisse des températures. Et comme nous l’avons déjà vu, chaque abeille va participer aux échanges thermiques nécessaires au confort de l’essaim. Elles sont donc bien actives et réceptives aux influences de la température. On parlera plutôt « d’hivernage ».
La tranquillité doit être totale durant la saison hivernale. Dès que la température ambiante passe sous les 15°C, les abeilles se resserrent, s’organisent, se mettent en état d’hivernage. Cette température devra être maintenue autour de 7 ou 8°C pour la surface de grappe, et entre 15 et 36°C à l’intérieur. Lorsqu’un événement vient rompre cet équilibre, la grappe entière se désagrège, et quelques abeilles, malgré la température basse, peuvent s’en détacher et sortir de la ruche.
La bonne isolation offerte par la ruche tronc n’engage aucune attention particulière pour un bon hivernage. Comme il y a des millions d’années dans leur tronc d’arbre, les abeilles attendront patiemment le printemps.
Dans les régions à neige, il vous faudra prendre une précaution supplémentaire. La neige, si blanche pour nous, renvoie les rayons ultraviolets du soleil et devient ainsi pour les abeilles comme un second ciel, bleu, dont l’espace libre et aérien est remplacé par des cristaux de glace mortel. Les abeilles, complètement désorientées, croyant monter dans le ciel, vont piquer droit dans la neige, s’y enfoncer et mourir.
Pour éviter de perdre en plein hiver une partie de vos abeilles, placez devant l’entrée des ruches une plaquette de bois ou un morceau de tuile qui obscurcira l’entrée. Vous éviterez ainsi les effets dangereux du clin d’oeil d’un rayon de soleil espiègle !
Tous les 4 – 5 ans : Changement total de corps de ruche. Ancien corps de ruche à désinfecter avec la flamme du chalumeau.
Pour ce faire, récolter, transvaser l’essaim dans une ruche prête à les accueillir et désinfecter la nouvelle ruche prête à recevoir un nouvel essaim. Veillez à maintenir un plancher propre et sec.
*Décontaminateur : hausse de ruche, munie d’un toit et d’un plancher dans lequel les abeilles recevront le traitement, sans en polluer les récoltes et les cires. Ainsi les abeilles regagneront leur habitat dénué de résidu chimique, susceptible de dégrader leurs défenses immunitaires. Cette hausse sera ensuite désinfecter à la flamme du chalumeau. Si les cellules de la ruche sont infestées de vara, détruisez tout, brûler les constructions et désinfecter le corps de ruche avant de déplacer la colonie du décontaminateur à leur nouvelle ruche à bâtir. Manipulation à effectuer en début de grande miellée, avant la grande saison de ponte et le remplissage pour l’hiver. En effet, il leur faudra du temps pour reconstruire les pains et stocker la cueillette des butineuses."
Extrait du livre « Planter des arbres pour les abeilles – L’api-foresterie de demain »
de Yves Darricau, éditions de Terran
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