Je me suis installée il y a 3 ans, sur une ferme abandonnée du Ségala Aveyronnais, que je rénove et régénère avec mon troupeau de brebis Raïole, que j'élève pour leur viande, leur laine et la conservation de la race. Je suis paysanne et j'en suis fière. Être paysanne au XXIè siècle exige beaucoup, représente beaucoup et demande un renforcement de solidarité.
Ce territoire très agricole est en forte déprise agricole, les terres sont peu chères, les bâtiments en bâti traditionnel sont encore en état de rénovation. Le paysage est à couper le souffle mais personne ne s'installe... Pourquoi ? Pourquoi le métier de nourrir la communauté, la société est aussi jugé et aussi boudé ?
À l'heure des social médias, des réseaux sociaux, où toutes informations (souvent peu sourcées ou confrontées) circulent. À l'heure de toutes les crises : économiques, sociales, écologiques, politiques, les "jeunes" semblent chercher une place sociale qui ait du sens. À l'heure où l'on devient de plus en plus nombreux sur Terre, il y a de moins en moins de producteurices de nourriture. En France, 125 fermes disparaissent toutes les semaines depuis 2010. Pourtant, explosent les nouveaux métiers, les consultants, les techniciens, les conseillers agricoles ou agroforestiers qui N'ONT JAMAIS été nourrisseurs, producteurs. Explosent les jugements, les agriculteurs sont alors responsables de tout : pollutions, destructions, nuisances. Quoique l'on fasse, c'est souvent trop cher, trop tard, trop tôt, trop bio, trop conventionnel, trop générique, trop singulier.
Qui arrive à se nourrir de sa propre production et se permet de juger autant, d'incriminer autant, de considérer que l'on (on=paysan.ne, agriculteurice) doit être conseiller par des hors sol ? C'est si dur de nourrir ! C'est si dur de proposer une alimentation saine malgré les déboires climatiques, écologiques, économiques et sociales !
Il y a des images très inspirantes, comme celle où je "nourris" un jeune agneau en plein champ. Elle fait rêver, elle fait sourire, elle donne confiance, elle apaise, elle rassure. Savez vous combien d'heures il y a derrière ce geste ? Savez vous pourquoi ce geste est fait et ce qu'il implique ?

Je me suis toujours demander pourquoi les métiers agricoles sont si souvent critiqués, montrés du doigt, jugés, portés responsables de tous les maux de la société. Pourtant, il y a tant de métiers polluants, destructeurs, qui pratiquent sans bon sens : les architectes qui construisent des passoires thermiques, non ergonomiques, où il est mauvais de rester : écoles, hôpitaux, etc... Il y a les médecins qui s'octroient des pouvoirs, des gestes gratuits : le point du mari, l'épisiotomie non consentie, les pieds dans l'étrier pour les femmes accouchants, les erreurs qui coûtent la vie, les oublis de compresses dans les plaies, etc... Il y a les industriels, la fast fashion, les sportifs de Formule 1 qui détruisent et ne servent à rien et apportent bon nombre de nuisances... La liste est longue. Pourtant ils ne remplissent les contenus de JT, ni les fils d'actualités sur les outils Meta. Alors, c'est quoi être paysan.ne au XXIè siècle ?
L'histoire du statut de paysan
Durant l'empire Romain, les nourrisseurs, les producteurs étaient des esclaves, des esclaves de propriétaires terriens. De cette situation découle une histoire, une constitution de société dont nous somme issues et qui a peu évoluer dans le fond. Lors de la chute de l'empire, les statuts des paysans et paysannes sont déterminées en 2 catégories :
Non libre : descendant d'ancien esclave ou de colon de l'empire romain qui s'est vu attribué des terres, qu'il ne peut ni quitter, ni vendre. Ils ne peuvent pas participer aux assemblées publiques, ils ne peuvent pas témoigner ou avoir recours à la justice. Ils n'on pas le droit de porter les armes. En cas de crime, ils peuvent être battus ou mutilés.
Libre : paysan qui a l'occasion de s'installer où il le souhaite. En cas de crime, il ne peut pas recevoir de châtiment corporel et s'en tire en payant une amende.
Les deux statuts sont héréditaires et tout mariage entre libre et non libre est formellement interdit.
Le prix de la terre n'est pas seulement pécuniaire. Elle a un coût de descendance, de sacrifice, de pouvoir et de domination. Qui se retrouve encore dans certains villages, dans certaines familles où personnes n'est libres, où la liberté a un coût énorme que peu d'entre nous pouvons considérer, comprendre.
Il est hors de question de peindre un portrait de paysan généraliste et victimaire. J'essaie humblement d'apporter les faits, des éléments pour voir éclore d'autres perceptions du monde agricole. Que se soit les regards du dedans ou les regards du dehors. Au VIème siècle, voici ce que la loi indiquait : la mise à mort d'un laboureur coûte 30 sous alors que tuer un forgeron coûte 50 sous. Depuis des siècles, un paysan ne vaut rien. Il nourrit, il prend soin des paysages, des biens communs mais il ne vaut rien. Et toute la société c'est satisfaite de cela. Aucune révolution ou rebellion n'a portée les demandes, les injonctions, les difficultés des paysans. Au XXIè siècle, il y a eu par exemple, les gilets jaunes qui réclamaient, entre autre, un pouvoir d'achat supérieur. Pouvoir acheter plus mais à n'importe quel prix. Le budget de l'alimentation est toujours revu à la baisse dans les foyers français et européens. Mais comment produire plus et moins cher sans mains d'oeuvre et sans pétrole et sans plastique ? Celleux qui ont essayer, 80% ne passent pas la barre des 5 ans d'installation. Ils arrêtent par fatigue et écoeurement. Ecoeurement du manque de considération de la société pour tous les efforts fournis pour tenter de répondre aux exigences des bouches de plus en plus nombreuses.
Quid des aléas climatiques, des tensions géopolitiques qui impactent les marchés et donc les producteurices de toutes échelles.

ÊTRE PAYSAN.NE AU XXIè SIÈCLE
Nourrir
Être paysan s'est avant tout nourrir. Être agriculteur s'est nourrir. Nourrir sa famille, nourrir les autres familles du territoire mais aussi de territoires plus éloignés et désertiques ou en conflit.
Comment nourrir ?
Comme on peut !
Certains appliquent ce qu'ils ont appris, ce que le dominant de la ferme impose, ce que la peur dicte, ce que le marché impose, ce que les clients achètent.
D'autres imposent leur valeurs, leurs visions, leurs engagements écologiques et proposent certains produits à certains clients.
Suivant la météo, il faudra trouver des stratégies pour éviter que tout ce qui a été mis en terre, mis en reproduction ne soit pas détruit, mangé, malade, etc... Cette partie silencieuse, représente la plus grande source de stress parce que c'est toute une trésorerie, c'est le salaire, c'est l'investissement de temps, d'énergie, qui reposent sur cette inconnue qu'est la météo. Elle nous permet de rester humble et de relativiser sur notre place de terrien. Elle devient capricieuse sous les effets des activités humaines, elle exige beaucoup de connaissances, de capacités d'adaptation dans le grand inconnu. Et nous, les paysannes et paysans, les agriculteurs et agricultrices sommes livrés à nous même dans ce quotidien sans répit et sans considération. Et jugé pour ce que nous essayons et pire, ce que l'on (on=technicien, consultant, loi du marché, réglementation, coopérative, préfecture, syndicat) nous dit de faire pour ensuite nous le reprocher. Et pourtant ....
De toutes ces productions, il y aura en 2021, 8,8 millions de tonnes de déchets alimentaires ont été produits en France, soit 129 kg par personne. Toutes les étapes de la chaîne alimentaire y contribuent
1,24 millions de tonnes pour la production primaire (14%)
1,72 millions de tonnes dans la transformation (20%)
633 000 tonnes dans la distribution (soit 7%)
1,08 millions de tonnes dans la restauration (12%)
4,08 millions de tonnes dans les ménages (47%)
Parmi ces déchets, 4,5 millions de tonnes sont non comestibles (os, épluchures…). Le gaspillage alimentaire représente donc près de 4,3 millions tonnes de déchets issues des parties comestibles des aliments (aliments non-consommés encore emballés, restes de repas, etc.).
Prendre soin
Notre métier, que l'on soit paysan.ne ou agriculteurice, dépend des lois écologiques, des écosystèmes de la Terre, de la biosphère, de l'hydrosphère, de la stratosphère, de la lithosphère. Notre métier dépend des "ressources", de l'usage des biens communs.
Certains souhaitent dominer le vivant entièrement, se considérant bien supérieur à toute cette organisation, refusant de rester à sa place de simple homos dans la chaîne alimentaire. Vestige de la domination de l'église dans la constitution de notre société; qui continue d'en vénérer les représentants.
D'autres prennent soin de leur culture, de leur bête, de leur matériel, de leur outils de production, des paysages, des milieux, de l'eau, du sol, des organismes vivants à la hauteur de leur moyen, de leur connaissance, de leur échelle. Malgré les regards, les jugements, les injonctions, les critiques, l'isolement, le manque de considération et la confusion totale de la société qui s'y intéresse véritablement de moins en moins : baisse de fréquentation des AMAP, des marchés, baisse de volontaire Wwoof, baisse des représentants syndicaux...
Sous le même label, ces deux facettes juste dépeintes et très simplifiées, vont figurer. Car tous ces comportements sont humains. Tous ces faits relèvent des décisions et non décisions humaines, des actes et non actes humains. Car tous les humains, TOUS, constituent la société. Les producteurices et les consommateurices. TOUT LE MONDE !
Engagement politique
Être paysan.ne, être agriculteurice c'est assurer que TOUT le monde ait à manger. Cet engagement nous l'avons en commun. C'est aussi s'assurer que l'on mange à notre faim et que nos enfants, nos aïeuls aussi.
Certains choisissent la sécurité de la paie et s'engage presque à vie avec des coopératives qui vont vivre en margeant bien comme il faut sur le dos de celleux qui produisent, à qui ils donneront une rétribution financière; Certes assuré mais régit aux lois du marché.
D'autres vont tenter la vente directe sans être sûr de vendre ce qu'iels ont produits à coups de labeur, d'insomnie et de stress. Ici il y a peu de marge, moins de personnes qui vivent sur leur dos, mais aussi moins de bouches qui répondent présentes. Pourtant, ici la bouche paie le juste prix et assure un revenu décent. La mémoire sélective du temps des grandes prises de conscience lors de la période COVID de 2019 a déjà effacé tout ca. En 6 ans seulement.
L'agriculture est politisée depuis sa naissance, tantôt par les maîtres, puis par les catholiques et enfin par les syndicats.
Tandis que la FNSEA pris naissance grâce aux acteurs majoritaires du MEDEF, seul syndicat capable de faire face aux gouvernements.
La confédération paysanne elle, regroupe des paysannes et paysans se disant en marge du monde libéro-capitaliste, incapable de se structurer et de faire face aux gouvernements et à la FNSEA.
Ainsi, la majorité des actifs se retrouvent isolés, non représentés, non reconnus, sans représentant dont ils peuvent être fiers. Pourrions nous nous remettre aux bouches que nous nourrissons ?
Nourrir n'est pas seulement nourrir. Produire n'est pas seulement produire.
Chaque geste, chaque décision passés au crible par la société digitale et analogique, a un impact fort. Qui a du sens que si il est considéré, reconnu, valorisé, par les personnes qui sont concernées. C'est à dire toutes les personnes qui MANGENT.
Appel à la solidarité
Mesdames, Messieurs et tout ce qu'il y a au milieu, si vous souhaitez aider les paysan.ne.s et les agriculteurices, arrêter de les juger et vouloir les sauver avec des conseils hors sol et hors réalité.
Favoriser l'écoute.
Favoriser le soutien de celleux qui produisent sur vos territoires en fonction de vos valeurs, de vos moyens, des enjeux du territoire lui même.
Cessez de tout attendre de nous sans y accorder le moindre intérêt et la moindre aide.
Les enjeux du XXIè siècle sont nombreux, complexes et difficiles à relever. Ils concernent TOUTE la société. Les producteurices dépendent des conditions climatiques et des bouches qu'iels nourrissent.
CONSERVATION RACE D'ÉLEVAGE ?
Et oui, les races domestiques sont aussi en voie de disparition :
Une race d'animal d'élevage sur cinq est menacée d'extinction
Une douzaine d'espèces animales fourniraient à elles seules 90% des protéines d'origine animales consommées dans le monde. En creux se profile une course au contrôle de la génétique animale par une poignée d'acteurs économiques, sur fond d'agriculture industrielle.

Comment on en est arrivé là ? Tout simplement parce que l'humanité a confondu progrès avec productivité. Parce que depuis les 30 glorieuses on considère l'énergie pétrolière comme infinie et bon marché. Parce que personne ne veut plus se salir sans un salaire décent. Parce qu'il y a de plus en plus de bouche à nourrir et de moins en moins de mains qui nourrissent. On a donc misé sur la sélection de plus grosse productivité au lieu de valoriser le métier et les intérêts des races rustiques.
Pour aller plus loin
Le temps des paysans - ARTE
Une histoire politique de l'alimentation, Du paléolithique à nos jours de Paul ARIES éditions Max Milo
Des racines et des gènes, une histoire de l'agriculture de Denis Lefèvre
Céréales, La plus grande saga que le monde ait vécue de Jean-Paul Collaert éditions Rue de l'échiquier
Plutôt nourrir de Noémie Calais & Clément Osé aux éditions Tana
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