Il est fascinant de tomber sur des interviews et ouvrages de personnes renommées relatant les faits et données tant défendus lors de mes interventions conférencières et formations ! Des années d'observations, de lectures, de réflexions, d'expérimentation pour arriver aux mêmes conclusions que des scientifiques. Or, je ne suis pas très bonne communicante, préférant l'ombre à la lumière des projecteurs. J'ai donc souvent été discrète, sous les radars, à mes torts. Aujourd'hui, les enjeux de demain me font peur et après des années de militantisme, de formations, d'écrits, je déplore la lenteur d'évolution pour que le paquebot de l'humanité passe à travers la tempête qu'elle a semé.
Pour apporter du poids à ma balance, pour apporter plus d'arguments et de données, j'ai souhaité partager une nouvelle émission de France Culture, l'épisode 4 d'un Cultures Monde dédié à l'eau.
Cet épisode réuni une hydrologue et un économiste ingénieur spécialisé dans le domaine agricole, pour aborder les enjeux et pistes de solutions pour appréhender l'avenir de l'humanité avec plus de raisons et de conscience.
Ils mentionnent d'abord le climat, et avec un collègue nous avions conclu les mêmes résultats à partir de nos relevés et observations : la ceinture méditerranéenne remonte. Les caractéristiques de ce climat, fortes chaleurs et canicules puis fortes pluies et inondations, se retrouvent maintenant dans le Grand-Est, rayonnant également sur une bonne partie Ouest de la France. À l'échelle mondiale, ce sont les déserts qui s'étendent de plus en plus, comme Gobi qui se retrouve aux portes de la Chine aujourd'hui.
Ces enjeux associés à l'inflation démographique mondiale induisent une forte pression sur les ressources et milieux naturels. Les producteurs de moins en moins nombreux ont recours à des techniques mécanisées et défavorisent le vivant. Les évolutions alimentaires (beaucoup plus carné et laiteuse dans l'ensemble du monde depuis les années 50) engendrent une consommation d'eau considérable et demain plus du tout soutenable.
EXEMPLES de quantité d'eau consommé par produit :
Quantité d'eau par tendance alimentaire : exemple pour un omnivore occidental à consommation raisonnée 3 000 à 5 000L d'eau / jour
1 tonne d'eau pour un kg de blé - Besoin en eau mars, avril, mai - Vert au printemps
1 tonne d'eau pour un kg de maïs - Besoin en eau juin, juillet, août - Vert l'été
200 kg d'eau pour produire et acheminer 1 oeuf
Le café consomme beaucoup plus d'eau totale que le thé, tout simplement parce qu'il faut beaucoup d'eau pour que le caféier grandisse pour produire peu de graines, comparativement au thé qui produit beaucoup plus de feuilles.
L'eau utilisée pour produire (soutenir la croissance végétative ou les besoins en abreuvement), le lavage, le conditionnement sont autant d'eau dite "virtuelle" mais bien prélever dans le milieu pour assurer nos besoins / envies.
La répartition de l'eau douce sur Terre est inéquitable, 12 pays en disposent d'une grande quantité à l'année, pendant que d'autres pays la cherchent pendant des décennies. Rappelons que l'eau douce qui est ici mentionnée est celle qui est abordable : présente surface ou peu profonde. Elle extrait les glaciers et les aquifères profonds. Ces eaux totalisent 1% de l'eau douce présente dans le monde, elle est de plus en plus rare, de plus en plus précieuse, il est temps de la reconsidérer comme un bien commun à partager entre toutes les vies, du Nord et du Sud. Rappelons également que nous sommes toustes dans le même bocal : la Terre.
Si nous souhaitons préserver cette ressource tout en assurant nos besoins alimentaires, comprenez ici minéraux, oligoéléments, protéines & lipides, il est primordial de faire évoluer nos habitudes alimentaires, soutenant ainsi les producteurices dans leurs évolutions de pratiques : choix culturaux moins gourmands, itinéraires techniques favorisant la vie et la porosité des sols, transition économique, etc... Même si au XXIème siècle, nous avons la chance de regorger de nombreuses technologies pour répondre à nos besoins et caprices, il n'est pas question (fort heureusement) de contrôler l'eau et le climat, les conflits seraient alors bien plus nombreux qu'ils ne le sont aujourd'hui, visibles ou insidieux. Aucune technologie ni figure paternelle ne viendra nous sauver de nos choix et non-choix, de notre aveuglement ou de nos caprices. L'évolution des pratiques est une mission indispensable pour chacun.e, dans nos quotidiens jusque dans nos mobilisations, indispensables pour transformer les instances politiques vers plus de respect des ressources et donc de la vie.
L'alimentation du future sera plus raisonnée et consciente, solidaire et locale.
La moyenne de ce qu'un.e français.e aura consommé dans sa vie :
7 boeufs + 1200 poulets + 33 cochons + 32 000 L de lait + 20 000 oeufs
Soit :
73 500 000 + 51 900 000 + 120 384 000 + 160 000 000 + 66 000 000 = 471 784 000 L ou 471 784 m3
Ça ne vous parle pas ?! Je comprends, les chiffres sont monstrueux.
Disons que cela équivaut à plus de 125 piscines olympiques ! Tout simplement...
Bon, reprenons, si la quantité d'eau douce sur Terre est limitée, qu'elle doit être partagée entre toutes les vies qui en dépendent, que pouvons nous faire ?
Faire évoluer nos pratiques alimentaires : des produits de saisons, produits localement (impulser l'installation de nouveaux producteurs dans votre coin), diminuer la viande, les laitages et les céréales. Vous en serez gagnant : votre santé en sera meilleure ! Et oui, un produit importé, exporte l'eau qui a été mobilisé pour la croissance de ce produit exporté !
Préférer l'achat en circuit court, de façon à soutenir directement les produteurices qui peuvent avoir en plus besoin d'un coup de main pour faire évoluer leurs pratiques : moins de mécanisation, moins de phytosanitaires, moins de plastiques = plus de boulot !
Produire par vous même tout ce que vous pouvez : légumes, oeufs, fruits, noix, etc.... Cela diminuera la pression auprès des producteurices et vous gagnerez encore une fois en qualité et donc en santé. Nous sommes ce que nous mangeons.
Prenez place dans les institutions politiques vieilles écoles pour faire évoluer les mentalités : gouvernance holistique, orientation écologique, participation citoyenne, etc...
À partir de ces pistes, les producteurices auront la possibilité de supporter le tuilage économique qu'une transition des pratiques impose. Nombreuz sont celleux qui souhaitent :
Installer plus d'arbres, qui sont de véritables piliers dans la Gestion holistique de l'eau et de la fertilité des sols,
Faire varier les production vers celles moins gourmandes en eau, pour cela les consommateurices doivent être prêt.e.s à varier les menus. Nous retrouvons des tomates dans toutes les régions, c'est une aberrations ! Elles proviennent de territoires chauds et humides, où les pluies sont abondantes, le maïs aussi. Pourtant, les pluies du Sud-Ouest suffisent à assurer les besoins en eau du maïs, si les sols permettent de faire circuler et d'absorber les amas d'eau,
Installer des haies, des couverts végétaux avec leurs productions, permettant de limiter l'évaporation, l'érosion, la salinisation des sols mais surtout de rendre les sols plus vivants et donc plus poreux, infiltrant, car L'EAU DES CULTURES EST DANS LES SOLS,
Augmenter les taux de matières organiques dans les sols, leurs permettant d'absorber telle une éponge l'eau en excès lors des saisons pluvieuses, pour être disponibles pour les plantes lors des épisodes de sécheresse,
Recycler les systèmes d'irrigation parfois obsolète : les technicien.ne.s agricoles ont subi les effets de mode des lobbys, influençant les installations d'irrigations. Nous venons de l'époque (1980-2000) où les tourniquets étaient en vogue jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'il y avait beaucoup trop de gaspillage !
Concevoir l'agroécosytème de façon à ce qu'il soit résilient et efficient, ergonomique et diversifié, grâce aux outils de la Permaculture,
Faire évoluer les itinéraires techniques et intégrer de l'Agroforesterie, du pâturage tournant dynamique, du fourrage ligneux, etc... Appliquer les règles de l'agriculture de régénération. Pour cela, il est question de temps de formation, d'appropriation et d'application,
Aménager les paysages agricoles pour que les sols deviennent plus infiltrant, permettent le rechargement des nappes phréatiques, limitent l'érosion et les inondations en exutoire de bassin versant, en créant, à partir de la topographie, des réserves collinaires partageables, dont la qualité seraient exemplaire pour tous types d'usages : irrigation, abreuvement, conditionnement, etc...
Les milieux urbains sont aussi concernés par la gestion holistique de l'eau, puisque la gestion des pluviales a tout bonnement manqué de bon sens, mettant la souveraineté de ces milieux en péril. L'abondance créé l'illusion qu'elle est irréversible, ce qui est dominant et irréaliste. Depuis que la Terre est Terre, il y a eu tant de bouleversement climatique induisant des changements profonds d'écosystèmes, et nous ne sommes pas extérieurs à cela.
Les campagnes et les villes sont liées, depuis que les humains se sont sédentarisés et ont mutualisé. Il n'est pas question de penser l'avenir autrement que ce qui a posé les fondements de nos civilisations depuis plus de 10 000 ans.
Les pistes de solutions sont nombreuses et les choix multiples, à porter de main :
Rendre plus perméable les revêtements, afin que l'eau de pluie puisse s'infiltrer dans les sols, recharger les nappes plutôt que de créer des inondations ou faire déborder les stations d'épuration faiblement dimensionnées,
Favoriser des revêtements clairs afin de faire jouer l'effet d'albédo en notre faveur : les couleurs clairs renvoient la lumière et limite la chaleur, donc l'évaporation,
Intégrer des arbres, plus d'arbres dans les villes, permettant ainsi de rafraîchir les espaces communs, de séquestrer le carbone scandaleusement émis dans l'atmosphère par nos activités extrêmement énergivores. Aujourd'hui, les massifs forestiers mondiaux disparaissent à une vitesse vertigineuse, alors que nous émettons de plus en plus de CO2 ! Je suis persuadée que notre espèce n'est pas aussi dissonante et indifférente à sa survie. 4 000 milliards d'arbres sont nécessaires pour absorber le CO2 relargué chaque année dans notre écosystème, il y en a 3 000 milliards aujourd'hui et il en est supprimé 15 milliards par an, la majorité en Amazonie pour produire l'huile de palme composant produits cosmétique, alimentaire. Or cette huile n'est pas assimilable par notre organisme. Comble du comble : nous finirons asphyxié.e.s par nos propres émanations, obèse mais à l'apparence soignée.
Comme dit précédemment, nous sommes toustes embarqué.e.s sur le même paquebot : la Terre. Tout est relier sur cette boule, chaque phénomène induit une conséquence qui en induira une autre ailleurs. Concernant le climat, nous appelons cela les boucles de rétroactions :
Régionalement, l’évolution à long terme de l’enneigement et de l’humidité des sols ne dépend pas seulement de celle des précipitations mais également de la réponse des températures, du rayonnement* et du vent qui pilotent la fonte et l’évaporation. Le retrait observé (estimations satellitaires obtenues dans le domaine du visible depuis la fin des années 1960) et programmé de la couverture neigeuse de l’hémisphère Nord représente l’une des boucles de rétroaction les mieux documentées. La fonte du manteau neigeux induite par le réchauffement atmosphérique d’origine anthropique s’accompagne d’une diminution de l’albédo* de surface qui contribue à amplifier le réchauffement en surface. La perspective d’un assèchement des sols aux moyennes latitudes, encore très incertaine en raison du manque d’observations et de la dispersion des modèles, pourrait avoir une influence similaire notamment sur les températures estivales en lien avec une diminution de l’évapotranspiration. L’effet anti-transpirant de la végétation (fermeture des stomates observée en réponse à un enrichissement atmosphérique en CO2 effectué sous serre ou en plein champ) pourrait aboutir au même effet thermique tout en limitant l’assèchement des sols. Néanmoins, d’autres processus sont susceptibles de moduler la rétroaction des surfaces continentales tels que la réponse des aquifères, des plaines d’inondation, ou encore de la densité du couvert végétal.
Source CNRS - Ouvrage le Climat à découvert
Ainsi, le Brésil a beaucoup plus de capacité à régénérer l'eau que l'Éthiopie par exemple.
Pour conclure, l'eau est une ressource rare, précieuse, dont la Gouvernance politique actuelle est unilatérale, pyramidale, favorisant les plus gros aux plus petits. Ce modèle est vieux, dépassé, il correspond à l'ancien modèle. Il ne tient qu'à nous acteurices de la gestion de l'eau, de proposer un renouvellement. Personnellement je m'inspire beaucoup des travaux de Elinor Ostrom et espère de plus être la seule à l'infuser partout où je passe.
Si ces modèles de gouvernance et notre rapport à l'usage de cette précieuse ressource, des guerres sont inévitables. Des pays aux problématiques largement installées peuvent nous inspirer, à nous composant.e.s des sociétés de prendre un pas pour la survie de l'humanité, tous les jours et plus encore.
En bref, les enjeux que Phacelia tente de relever grâce à ces services sont résumés ici, de la bouche de spécialistes :
Émission de France Culture du 22/10/2020
Épisode 4 :
Agriculture : le risque de la pénurie
Invités :
Emma Haziza - Hydrologue, chercheuse pluridisciplinaire, enseignante et conférencière française. Fondatrice & présidente de Mayane.
Bruno Parmentier - Auteur, conférencier et consultant, spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires. Il est à la fois ingénieur et économiste (École des Mines de Paris et École Pratique des Hautes Études)
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